The person who tells the best story rules their corner of the world. (James Clear)
Petite histoire du passé pour mieux vivre l’avenir. Point de départ : master de maths, Juin 2018. Délices de l’esprit, de la création, de la joie d’apprendre; puis obsession, insomnie, rupture amoureuse. Incapable de m’allonger au soleil sans ruminer des maths. Besoin d’arrêter. Faire contact avec le corps. Devenir boulanger? Charpentier? Prendre un cours de hip-hop. Simon-le-prof est secrètement diplômé d’une grande école de danse contemporaine : il enseigne la liberté (pas les pas). La sensation (pas le mouvement). De fil en aiguille… Mai 2019. Marso. Une audition. Maman qui m’accompagne, me met des pinces dans les cheveux. Et là : immensité. Rentrée de Septembre 2019. Bordeaux. Chaque jour un nouvel apprentissage.
L'humilité (Mika), la sérénité. (Hassan)
L'expression sans les mots. (Mika)
Le regard. L'écoute. (Swing)
« Pas parler, faire. » (Marie)
Le lâcher prise. (Mélodie, Mathieu)
Oser rompre le froid entre les êtres. (Marianne, Cad, Camille, Lola)
Le partage, l'inspiration, le respect. (Arnaud)
Rester en mouvement. La persévérance, la détermination. (Titi)
La conscience de ce que l'on mobilise à tout moment, la tension, le relâché. (Jean)
Les gestes (et les mots) parasites. (Lachky)
Le plaisir du rhythme. (Hamza, Lily)
L'efficacité, l'économie, ce qu'on a vraiment à dire, notre dernière danse. (Noé)
Les nombreux chemins d’un point A à un point B. (Sabri)
L'humour et la gestuelle. (Natty)
L'amitié. (Koïsso)
Des nouvelles formes d’être, des épreuves, des maîtres. Mars 2020. Covid. Retour à Prévessin, séances de muscu et d’eau glacée avec Nino : enfin la traversée des eaux entre lui et moi. Et la traversée des eaux entre maths et corps : l’écriture d’un papier, fruit de matinées. Pourquoi pas? Bien entouré –> heureux. L’équilibre enfin savouré. Puis les adieux à notre foyer, à mon enfance. Les cours sur zoom, le jardin public. Baignades estivales dans l’amitié du Lac Léman; stages (Besançon, Auch); dernier contact avec Brice; arrivée à Pampelune. Et à nouveau : un puits de nouveauté, de potentiel d’élargissement. Plus que tout : une tribu.
Raquel. Manon. Clarissa. Rafa. Tova. Emilia. Elisa. Valentin. Julia. Pauletta. Mira. Stef. Sira. Ollatz. Puli.
Mark Thompkins. Nicole Berndt. Bertha Bermudez. David Zambrano. Laura. Carmen.
Ce que signifie l'intimité : corporellement, créativement, sexuellement.
Ce que signifie s'épanouir. Une famille. Quelques amours.
Un rite de passage, des goûts au-delà de mes habitudes, de ce que je croyais possible. Perte de recul. Confusion entre ce qui me nourrit (l’autre) et ce qui paraît me nourrir (la danse). Obsessions, eczema, genoux qui succombent. Qui ne veulent plus. Et mon petit moi, dans ma tête, qui s’accroche au jeu du danseur, qui par mirroir devient avide d’auditions et de lumière. Qui voit que tout est possible : et dans l’infini des possibles, on a tendance à se perdre {voir rayon réfrigéré dont l’haleine fraîche fuit par la porte que l’on tient ouverte, planté là plusieurs minutes, hésitant entre yaourt nature (0.78€ bio village lait entier 4x125g) et yaourt nature (0.92€ nos régions ont du talent 0% matière grasse 4x120g)}. Juillet 2021. Vittoria. Bodhi. Après seulement deux ans, ça me paraît impossible, c’est le rêve de tout danseur… Je dis oui, oui, oui. Or ces rêves-là ne sont pas miens. Je danse pour mieux connaître notre point de contact avec le monde (le corps). Pour le toucher, pour toucher l’autre. Mission accomplie. Je pourrais (devrais) dire au-revoir. Mais je ne sais plus dire non; je ne sais plus « choisir ma vie » (Sartre). Lithuanie (Steffi), Norvège (Perle), Suède (Tova), Copenhague (Chiara), Autriche (Lou). Tomber dans une abîme que je n’avais pas imaginé possible. Au premier spectacle, qui sera le seul, on me félicite : j’obtiens ce que je croyais vouloir. En béquilles.
Dan. Steffi. Lorenzo. Bryn. Valeria. Nino.
Victor. Marta. Gian. Lou. Dylan. Luisa. Natalia. Jeanne.
Se rapprocher petit à petit de quelque chose comme l'amour. Soti.
Mars 2022. Une semaine en Grèce : délices délicats. Une semaine en Italie : enfin l’effondrement. La réalisation du besoin d’un chez-soi. Six mois à Bordeaux. Injections. Dépression. Rdv médicaux. Kiné. Thérapie. Perte de sens. Mais tout ce chemin : nécessaire. Enfin face au vide. Cet homme blessé rencontré dans le tram qui me dit : « Tu n’as pas sû t’arrêter. Ni pendant le covid, ni maintenant. Alors ton corps l’a fait pour toi. » Une conversation de 7 arrêts, un homme que je ne reverrai jamais, qui a pressenti que j’étais danseur, qui « savait que l’on parlerait quand je t’ai vu approcher ». Un homme sans nom, qui me remit sur le droit chemin. Cela fait exactement un an que je l’ai rencontré. Je comprends enfin ce qu’il a voulu dire.
Soleil des Canaries. L'amour : essai numéro x. Raquel.
Intimité envers ses îles (Gomera), ses ancêtres (Abuela), ses liens (Alba).
Celrà, Girona, Huarte. Los Informalls. Maria Fernanda. Emma. Majo (Feldenkreis).
Malpelo : promesse d'un monde meilleur. Le murmure de ce qu'il y a de beau dans le corps.
Une effusion créative, énorme d’envie, honnête. Dans ces re-découvertes, une joie. Un appétit qui laisse penser que Bodhi, c’était juste pas de chance. L’inertie du « danseur professionnel », de l’identité attachante. L’homme dans le tram qui s’éteint dans ma tête. Les changements abrupts ne le sont jamais tant. Il faut parfois deux, trois, quatre temps afin de décrocher. C’est là que joue l’intuition, l’expérience, la sagesse : savoir dès le premier mouvement de l’âme, ce qu’il en est, et ajuster. Rediriger la proue. Décembre 2022. Amour d’être avec Maman, Sylvain, Nino, Socrate, Plumette, Mina. Je sens encore cet amour grandir. Neuf mois qui invitent à prendre un pas en arrière. Voir le sens de sa vie, des tournants passés, de ceux avec qui j’aimerais naviguer l’avenir. Envie de racines. Cornouailles (Papa). Paris (Maman). Prêt à repartir. Japon? Zürich. Tentative d’équilibrer. IBM. House. Rollers. Des belles rencontres, et une richesse de l’esprit retrouvée.
Lucia. Elie. Elena. Conrad. Laurin. Mario. Ulysse. Théo. Matthieu. Hannah. Artem. Amber. Anna Ishq.
Cette fille assise à ma droite au petit-déjeuner, ses regards entrecroisés.
Cette femme qui sort du bar au bord des rails de train, fumer une cigarette à mes côtés.
Cette fille en brassière tous les weekends dans le sous-sol de Kasheme.
Julyen Hamilton. Kim. Le coup de foudre pour de vrai. Le weekend de mon départ.
Mais les fondations sont fragiles. Besoin de guide : de maître. Bouddhisme. Laia, Marc, Claudia, Syl, Carlota, Nati, Martí, Dorothy, Estíbaliz, Paula. Pourtant l’insomnie qui frappe du revers de sa main, une alarme du cerveau qui crie aux cervicales. Impossible de dormir après 4h. Abandon : je pars travailler tous les jours à 4h. Je rentre à 15h, épuisé. Le problème ce n’est pas entre moi et les maths, ou moi et la danse : c’est entre moi et l’autre. L’intimité. La tribu. La famille. Le toucher. L’amitié. L’amour. C’est ça qu’il me faut. S’arrêter (l’homme dans le tram). Repuiser. La sanité s’ensuivra. Juin 2023. Départ pour Barcelone, envie de chez-soi. IBM toujours là. Départ trop pressé, trop impatient (l’homme dans le tram). Barcelone me rejette de ses crocs ensoleillés, de ses métros aux yeux-rivés, de ses ruelles assourdissantes. Elle m’accueille, aussi. Un peu.
Emma, Adri, Queralt, Bernalt, Claudia, Clara, Iris, Franc, Lama.
Walid, Lola, Monsef, Nia, Alexis.
Camille, Rapha, Maxime.
Mariale.
Départ brusque pour Lesaka. Pas d’appart. Aucune envie de participer à ce projet. Perdu. Angoisses. Mais : cela me rend d’autant plus déterminé. Et : les bras ouverts de Lesaka. La nature. Les yeux-non-rivés. C’est comme ça que j’aimerais vivre. Dernière semaine de résidence, épuisé, faire-semblant. Pas d’appart. Une fille que je croise au milieu de nulle part me dit, sans raison : « Il faut tirer des flèches à l’univers. S’il ne te répond pas, avance. S’il te réponds, tu sauras. » Le soir même, je lance une dernière lettre d’espoir à la personne qui m’a accueilli en Catalogne un an auparavant, Edu. Il vit à Gérone, connaît peut-être quelqu’un. Trois jours après, Marta : « Viens nous visiter. On a une chambre. » Je tombe amoureux. C’est enfin décidé : danseur professionnel. Ce nouveau lieu que je ne connais pas ? Ce sera mon chez-soi.
Post-scriptum. Un an plus tard, je suis toujours ici. Ce n’est pas tous les jours mon chez-soi, mais je m’y sens couler petit à petit, dans le meilleur sens du terme. De celui qui vide ses poumons et se laisse tomber tranquillement jusqu’au lit de l’océan. J’ai passé un an à ne rien faire d’autre, les yeux hypnotisés par les rayons du soleil qui transpercent l’eau, puis j’ai poussé le sable des pieds. Je suis remonté et j’ai respiré un bon coup et j’ai rempli les formulaires et envoyé les dossiers. Aujourd’hui, j’entame mon doctorat en maths. Retour à la « case départ » que l’on n’avait jamais vraiment quitté. Or la case est pareille, mais le corps ne l’est pas, ni le cerveau, ni le coeur… Et lorsque j’avais enfin, au fond de moi, rayé cette ligne sur le désir de danser – Malpelo m’a appelé. En laissant tomber… On s’offre parfois la fortune de se retrouver.
Merci. Aux nombreux cités ci-dessus… Comme disent les tibétains,
Wherever you have received much love; that is your home.