Les draps sont crèmes pour couvrir son corps encore rouge. Je passe mon temps à longer de mes yeux sa silhouette d’oiseau sous la couette. Je prends mon temps pour le toucher de ce regard. Il ne bouge pas : pourtant il sait que je suis là : il accepte que je puisse prendre de lui son image. Je le soignerai. Mais pour l’instant je m’asseois et je ne dis rien. Je lui offre par sa lumière sur ma rétine une prière. Les traits de son visage sont ridés par l’amour qui s’accroche encore à lui du bout des doigts. Sa colonne est encore violette malgré les mois depuis sa chute. Je l’admire de bas en haut, ses pieds roqueux, ses paumes frippées, ses bras veineux. Je m’arrête sur ses paupières qui dansent sous l’âme encore pleine d’espérance.
Car les paupières
Sont, parmi les frontières
Du corps, celles que je préfère :
Emplies de lumière
Ou empourprées de pluie
Elles me soupirent sous les
Lampions et les ombres souples de la nuit.
J’ai l’impression d’y entrer comme saôulée
Dans un mensonge, car sans mot dire,
Tous les hommes que j’ai aimé pressèrent les cils de leurs deux yeux
Ne sachant pas que c’est maudir.
Assoupie devant ces Dieux,
Je vois encore Papa et ses pupilles, chacune un miroir pour sa fille, qui se fermaient lorsqu’amourant s’abandonnait si pleinement aux longues lèvres de Maman. Moi je fondais sous cette peau juste au-delà de ses blancs d’yeux, mais au réveil il s’éclipsa et moi je restai là sous l’eau dans le silence de mes aïeux. Chaque nuit je rêve encore de ses douces cernes bleues. Je fantasme un jour de voir mes propres paupières s’endormir. Mais jusque-là je regarderai ces hommes que j’aime frémir, et puis blêmir, et puis m’abattre l’un après l’autre, les yeux presque sableux à me cligner une dernière fois, à me quitter, sans dire adieu. Je vous promets que je prendrai soin d’eux.
Merci. Il me semble avoir écrit ce poème avant d’avoir lu The English Patient, de Michael Ondaatje… Pourtant il y a cette infirmière, et ce blessé, en commun. Peut-être m’a-t-il influencé du futur au passé? Quoi qu’il en soit, merci – je n’ai rien lu d’aussi vivant.